Antoine ne veut pas dire bonjour à son Oncle

Antoine ne veut pas dire bonjour à son Oncle !

Depuis tout petit, Antoine ne veut pas dire « bonjour » à son Oncle Sylvain !

Curieusement, c’est la seule personne avec laquelle il se comporte ainsi et le pire, c’est que son oncle est particulièrement attaché à ce qu’on lui dise « bonjour », au point de nous offrir un livre pour apprendre la politesse à nos enfants  !

Antoine a maintenant 5 ans et je me rends compte que ce n’est pas de l’espièglerie.

Durant les vacances d’été chez les grand-parents, à la fin du café, après le repas de midi, Antoine vient me faire un câlin avec une tête qui dit « y’a quelque chose qui ne tourne pas rond ».

Je me mets un peu à l’écart et je lui dit :

Moi – « Antoine, j’ai l’impression qu’il y a quelque chose qui te tracasse avec ton oncle. Est-ce que c’est vrai ? »

Antoine – « Oui »

M – « Est-ce que tu sais ce que c’est ? »

A – « Non » (avec une tête un peu triste)

M – « Si tu veux que l’on fasse de la CNV ensemble cet après-midi pour essayer de comprendre ce qui ne va pas, viens me voir quand tu veux. Je suis en vacances, j’ai du temps, je serai disponible pour toi ». [NDLR : J’avais remarqué plusieurs mois auparavant que mon fils avait un très fort besoin de pouvoir choisir et une tendance à se rebeller lorsqu’on ne respectait pas ce besoin. En lui proposant, sans lui imposer, j’ai rempli son besoin de choix, lui permettant de ressentir une émotion positive et d’être plus volontiers disponible pour suivre la démarche CNV qui est assez longue pour un enfant de cet âge là]

Sur ce, Antoine s’en va et je reviens avec les autres pour finir le café.

Vers 15h30, je vois Antoine qui vient me voir et qui me dit d’une toute petite voix :

A – « Papa, on peut faire la CNV ? »

M – « Bien sûr, viens on va aller tous les deux dans un endroit tranquille ».

Nous allons nous mettre dans un coin du jardin à l’écart des discussions et des éclats de rire du reste de la famille, et je commence à dérouler les 4 étapes de la CNV en Mode « Girafe vers l’autre » (c’est-à-dire en posant des questions).

Etape 1 : Observation (des Faits)

M – « Est-ce qu‘il s’est passé quelque chose avec mon frère qui t’a dérangé et que c’est pour ça que tu ne lui dis pas bonjour ? »

A – « Oui »

M – « Est-ce qu’il a fait quelque chose envers toi qui t’a gêné ou choqué ? » [Je pense bien sûr aux agressions sexuelles]

A – « Non » [je ne m’attendais pas à cette réponse, mais « ouf ! »]

M – « Est-ce que c’était il y a longtemps ? »

A – « Oui »

M – « Est-ce que tu te rappelles où c’était ? »

A – « Oui » ?

M – « Est-ce que tu veux bien me le dire ? » [A nouveau, je nourris son besoin de choix]

A – « A la piscine »

M – « Et il t’a dit quelque chose qui t’a dérangé ? »

A – « Non »

[Ne voyant vraiment pas ce qui a pu se passer à la piscine avec mon frère et voyant qu’on commence à tourner en rond sur cette Etape 1, je décide d’essayer de passer à l’Etape 2]

Etape 2 : Emotions (= Sentiments)

M – « Est-ce que ce qu’il a fait t’a mis en colère ? »

A – « Non »

M – « Est-ce que ce qu’il a fait t’a gêné ? »

A – « Non »

M – « Est-ce qu’il a fait quelque chose qui t’a dégouté ? »

A – « Non »

M – « Est-ce qu’il a fait quelque chose qui t’a rendu triste ? »

A – « Non »

Alors là, je commence à me demander si on va arriver à quelque chose. Je passe en revue les émotions que j’ai oublié de lui demander. Il restait la Jalousie et la Peur. Jalousie, je ne voyais pas trop en quoi mon fils de 4 ans pourrait être jaloux de son Oncle. La peur non plus. Mais bon, comme je n’avais rien trouvé jusqu’à présent, je continue le Processus :

M – « Est-ce qu’il a fait quelque chose qui t’a fait peur ? »

A – « Oui ! » [et là je vois ses épaules qui se relâchent. Bingo ! Il était temps !]

Je re-valide pour être bien sûr :

M – « Alors comme ça, il a fait quelque chose qui t’a fait peur ? »

A – « Oui ! »

M – « Très peur ? »

A – « Oui, très peur ! »

Aucun doute il a été terrorisé. Mais qu’est-ce que mon frère aurait bien pu faire qui ait pu le terroriser à ce point, surtout que mon frère est plutôt d’un abord avenant ?

M – « Donc mon frère à fait quelque chose près de la piscine qui t’a fait très peur. » [NDLR : Phrase de reformulation pour s’assurer qu’on est bien sur la bonne direction]

Petit retour à l’Etape 1

M – « Est-ce que tu te rappelles ce qu’il a fait qui t’a fait très peur ? » [Retour à l’étape 1 pour essayer de revenir au factuel]

A – « Il a enlevé son T-Shirt »

M – « Il a enlevé son T-Shirt et ça t’a fait très peur ??? » [Encore une reformulation, d’autant que je n’étais pas sûr d’avoir bien compris sa réponse, ne voyant pas en quoi le fait qu’il enlève son T-Shirt pouvoit être un problème]

A – « Oui » [Aucun doute, c’est vraiment ça qui l’a terrorisé]

M – « Et qu’est-ce que tu as vu sous son T-Shirt ?« 

A – « Il y a plein de muscles sur son ventre ! »

M – « Il y a plein de muscles sur son ventre ??? Ah oui ??? Et c’est le fait qu’il y ait plein de muscles sur son ventre, c’est ça qui t’a fait très très très  peur ??? » [Encore une reformulation, tellement je n’en croyais pas mes oreilles, et avec beaucoup d’empathie et le « très très très » pour lui faire comprendre que j’avais bien compris la force de cette émotion de peur (bien que pour moi elle paraisse absurde).]

A – « Ouuuuuiiiiiiii » [avec une nouvelle baisse des épaules qui traduisait un soulagement qu’il attendait depuis longtemps]

On voit là un élément essentiel de l’écoute empathique de la CNV : Le fait de reconnaître la force d’une Emotion ou l’importance d’un Besoin peut suffire à réduire très fortement la nécessité de satisfaire ce besoin.

Ainsi, s’il n’est pas toujours possible de satisfaire un Besoin, il est en revanche toujours possible de reconnaître l’importance du Besoin (même si pour nous il nous paraît totalement aberrant).

M – « Et en quoi le fait qu’il y ait plein de muscles sur le ventre de mon frère te fait peur ? » [relier les faits (Etape 1) au ressenti (Etape 2)]

A – « Parce que j’ai peur de sa « voix de tonnerre » !!! »

M – « Donc si j’ai bien compris, tu es terrorisé par la « voix de tonnerre » que pourrait avoir mon frère avec tous les muscles qu’il a dans le ventre ? » [Encore une reformulation pour re-re-valider]

A – « Oui !!! »

A présent, on a identifié l’émotion (la Peur) et le fait générateur de cette peur (la vue des « tablettes de chocolat » de mon frère). On peut à présent passer à l’Etape 3, celle des Besoins Universels.

Etape 3 : Identification des Besoins qui sont la cause de l’Emotion

M – « Si je comprend bien, tu as très peur de la voix que pourrait produire les muscles du ventre de mon frère. Est-ce que tu aurais besoin d’être rassuré que mon frère ne va pas crier sur toi ? »

A – « Oh oui ! » [Besoin trouvé du premier coup ! C’est pas toujours le cas, mais quand l’émotion est la Peur, c’est souvent qu’il y a besoin d’être rassuré]

Etape 4 : Les Solutions possibles

M – « Donc tu as besoin d’être rassuré. Est-ce que par exemple, si j’allais expliquer à mon frère que tu es terrorisé par la voix de tonnerre qui pourrait sortir de ses muscles et si je lui demandais de ne jamais te crier dessus, ça te rassurerais ? » [« par exemple » indique qu’il s’agit d’une solution parmi plein d’autres possibles]

A – « Oui ! »

M – « Est-ce que tu serais d’accord, pour venir avec moi au moment où je lui explique, pour voir sa réaction et voir s’il est d’accord ? »

Petit moment de réflexion et d’hésitation, pris entre sa peur de la voix de mon frère et l’envie de voir sa réaction.

A – « oui » (presque à voix basse)

M – « Alors voilà ce qu’on va faire : On va aller, tous les deux, voir mon frère. Je te tiendrai la main pour que tu aies moins peur. Je vais lui expliquer que tu as très peur de ses muscles et de sa « voix de tonnerre » et que c’est pour ça que tu ne veux pas lui dire « bonjour ». Ensuite je vais lui demander s’il serait d’accord pour ne jamais te crier dessus. Est-ce que cela te convient ? » [Encore une reformulation, pour encore valider, tellement cela me paraissait surréaliste, les Faits, les Emotions, les Besoins et la démarche de la Solution proposée]

A – « Oui »

M – « On y va ? »

Il prend une grande respiration

A – « Oui »

Tenant mon fils par la main, On va donc voir mon frère.

M – « Sylvain, est-ce que tu aurais un peu de temps ? Je crois que j’ai compris pourquoi Antoine ne te dis pas bonjour et ne te parle pas. »

Sylvain qui était lui aussi en vacances répond immédiatement :

S – « Oui bien sûr, j’aimerais vraiment le comprendre »

M – « Viens on va se mettre tous les trois un peu à l’écart pour pouvoir discuter tranquillement ». [Importance pour permettre l’Empathie d’être dans un endroit calme et confidentiel]

On se met donc dans un endroit calme, puis je commence.

M – « Bon, je crois qu’il vaudrait mieux que tu t’asseyes, car tu ne vas pas en revenir ! »

Une fois assis, je lui dit :

M – « Voilà, il y a quelques mois, Antoine t’a vu sur le bord de la piscine enlever ton T-Shirt ».

S – « Et ? Quel est le rapport avec le fait qu’il ne me dise pas bonjour ? » dit-il en totale incompréhension ?

M – « Et alors, Antoine a vu tous tes muscles abdominaux et il est terrorisé par la « voix de tonnerre » qui pourrait sortir de ta bouche. »

Je sens la petit main d’Antoine qui se serre dans la mienne.

S – « Non, c’est pas vrai ? » [Incredulité]. « C’est vrai ? » dit-il en se tournant vers Antoine.

Antoine se cache à moitié derrière moi et dit timidement :

A – « Oui »

S – « Non, mais c’est dingue ! C’est pas possible. J’y crois pas ! Moi une « voix de tonnerre » ??? Et c’est pour ça qu’il ne me parle pas ? » Toujours aussi incrédule.

Je lui répond :

M – « Oui je crois bien que c’est pour ça. Je suis aussi étonné que toi, mais ça fait trois quart d’heure que je valide, re-valide, re-re-valide la cause de ce comportement et je crois que c’est vraiment pour ça. »

S – « Ah ben ça alors… » dit-il totalement abasourdi.

M – « Et donc, j’ai proposé à Antoine, de te demander si tu serais d’accord pour ne jamais crier sur lui avec une « voix de tonnerre » ? »

S – « Ah ben évidemment, mon bonhomme ! Pourquoi voudrais-tu que je crie sur toi ? Je te le promets, je ne crierai jamais sur toi avec une voix de tonnerre ! »

Je me tourne alors vers mon fils et lui demande

M – « Est-ce que tu te sens un peu plus rassuré maintenant qu’on a parlé avec Sylvain ? »

j’entends un petit

A – « Oui » tout timide

M – « Est-ce que tu te sens mieux maintenant ? »

de nouveau un petit « Oui » (mais un peu plus affirmé que le précédent).

M – « Est-ce que tu veux aller jouer maintenant ? »

Cette fois ci, c’est un vrai « Oui »

Antoine se lève et s’en va.

Sylvain me demande :

S – « Tu y crois vraiment à ce truc ? » encore complètement hébété.

M – « Ecoute, je ne suis sûr de rien. J’ai déroulé le Processus de la CNV, je suis arrivé à ça. Ca me paraît totalement absurde, mais néanmoins je suis sûr qu’Antoine est vraiment terrorisé et je pense vraiment que c’est à cause de ça. Ecoute on va laisser passer quelques jours et on va voir ce que ça donne. »

S – « Ca alors, une « voix de tonnerre » ! On me l’avait encore jamais faite celle-là ! »

 

La fin d’après-midi se passe, puis vient le soir.

Nous décidons d’aller dîner dans un restaurant à Cassis un petit port près de Marseille.

Nous flânons un peu sur les quais, passons devant un manège, puis longeons les restaurants avant de finir par s’assoir.

Nous passons la commande, puis soudain mon frère demande à Antoine : « Tu veux venir avec moi faire un tour de manège ? »

Antoine me regarde, regarde mon frère, me regarde à nouveau. Je lui demande :

M – « Tu veux que je t’accompagne ? »

Antoine regarde mon frère, me regarde à nouveau, puis dit :

A – « Non » et se lève et va d’un pas décidé en direction de mon frère.

Mon frère se lève alors, prend délicatement la main de mon fils dans la sienne et tous deux s’éloignent en direction du manège. Après avoir parcouru une cinquantaine de mètres, Antoine se retourne et me jette un coup d’oeil pour voir si je le regarde, puis se retourne à nouveau en direction du manège. Ils se fondent alors dans la foule et je les perds de vue.

Ce n’est qu’une quinzaine de minute plus tard que je les vois revenir, Antoine sur les épaules de Sylvain !!!

Après le repas, nous faisons une petite balade dans les ruelles de Cassis. Antoine grimpe immédiatement sur les épaules de mon frère (comme quoi ça sert les « tablettes de chocolat » !) pour y rester perché le reste de la soirée… Depuis, Antoine dit toujours « Bonjour » à mon frère dès qu’ils se retrouvent !

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